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Dans cette réflexion sur l'appropriation des financements privés par les collectivités locales, le cas du Brésil et son organisation fédérale est instructif.

Conçue en 1991, la législation brésilienne sur le mécénat est pionnière. La loi Rouanet permet aux particuliers et entreprises de déduire partiellement ou totalement de leurs impôts le montant investi dans un projet culturel approuvé par le ministère. Dans le même temps, le gouvernement ultralibéral Mello (1990-1992) a démantelé le secteur public de la culture, jusqu’à faire disparaître son ministère. Le gouvernement Lula finissait de dissoudre la politique nationale dans l'initiative locale. Les chiffres sont édifiants. En 2015, le budget du ministère de la culture s’élevait à 2,6 milliards de reais (710 millions d’euros), tandis que les fonds levés grâce à la loi Rouanet totalisaient 1,18 milliard de reais. Incitative, la loi a abouti à une culture majoritairement financée par le privé.

Pour autant, le bilan est mitigé. D'une part, ce chèque en blanc laissé aux entreprises a ouvert la voie à des dérives, conduisant à d'énormes scandales de corruption, dont celui de Petrobas. Pour remédier à ces malversations ayant amené au financement de fêtes de fin d’année de sociétés ou au mariage du fils du patron du groupe Bellini Cultural dans un hôtel de luxe, le Gouvernement Lula a renforcé le contrôle sur les projets choisis, dès son accession au pouvoir en 2003.

Les investissements réalisés dans le cadre de la loi Rouanet ont renforcé les inégalités régionales. En faisant porter l'initiative culturelle sur les épaules des entreprises privées, celle-ci dépend donc de la vitalité du secteur économique de son territoire. Les Etats du Sudeste (région la plus riche du pays, concentrant les plus grandes villes industrielles telles que São Paulo, Rio de Janeiro, et Belo Horizonte) en récoltent 80%, les autres régions telles que le Nord et le Centre-Ouest se partageant les miettes, respectivement 0,4% et 2,5%. Cette disparité économique implique donc que les grands mécènes, et par voie de conséquences les opérateurs culturels, désertent les régions pauvres et moins dynamiques.

Depuis, le gouvernement Lula a tenté d’unifier l'initiative culturelle au niveau national. Il choisit dès 2004 de renforcer l'action de son ministère, par une meilleure articulation entre les échelons étatiques, fédéraux et régionaux et par la pratique de l’évaluation. Malgré son ambition, le Brésil hérite d'un contexte difficile où les grands équipements culturels sont concentrés géographiquement en lien avec la concentration des ressources, et un investissement public encore très faible, marqué par la prépondérance du privé sur lequel on ne peut pas revenir.

Cet exemple permet de rappeler le rôle régalien de l'Etat centralisateur en matière d'égalité d'accès à la culture. A trop miser sur un creuset industriel pour financer son action culturelle, les collectivités les moins bien dotées en entreprises risquent de décrocher.

 

SARAH HUGOUNENQ.